Chapitre Ving-Deux

 

 

LA PAIX PAR LES SERVICES

 

Dans le chapitre précédent, il a été question de tributs fixant la quantité et la qualité de matériel naval, de fournitures militaires et de dons « civils»  que les nations maritimes s’engageaient à faire parvenir à la Régence, en contrepartie de la paix et de l’amitié auxquelles souscrivait Alger. Une autre procédure allait mettre à l’épreuve les dispositions de ces nations : les services rendus et les manifestations d’amitié.

 

1 - Relâche dans le port de Marseille

 

Diverses circonstances amenaient nos Raïs à faire escale ou à séjourner à Marseille. La Chambre de Commerce saisissait l’occasion pour leur témoigner amitié et dévouement.

 

En 1676, ‘Ali Raïs, après un combat avec un corsaire majorquin, vint « à l’entrée du port demander du secours. » La Chambre jugea que, dans l’intérêt de la paix, le Raïs recevrait ce dont il avait besoin « sous le nom d’un particulier de la ville »  pour le bien et avantage du commerce[1]. Une occasion fut offerte au Maréchal de Tourville, en 1684, de demander à la Chambre de faciliter l’embarquement de Hadj Muhammad Dalalay qui regagnait Alger. Sa recommandation est éloquente : « ... en priant Messieurs de la Chambre d’accorder votre protection à Hadj Muhammad de s’en retourner et de lui faciliter son embarquement sur le meilleur vaisseau qui partira de votre port pour la Barbarie. Il est un homme de crédit et peut dans de centaines d’occasions, vous être utile à quelque chose[2]. )»

 

Chérif Raïs, commandant un brigantin d’Alger, armé en course, vint en 1697, aborder « hors la chaîne du port. » La Chambre approuva la dépense d’approvisionnement accordé au capitaine, « pour le bien et utilité du commerce[3]. » A la suite d’un mauvais temps, le commandant d’une barque d’Alger, dut aborder à Marseille ; on lui remit comme présent une « grosse gume » (cordage)[4]. Le Raïs ‘Abd Allah se trouvait à Marseille en 1770. Voulant regagner la Calle puis Alger, on l’embarqua sur le « Saint Vincent de Paul » avec provisions nécessaires pour sa subsistance pendant le voyage[5]. On remit au Raïs Mehémet des fournitures en voilure pour deux barques algériennes[6].

 

Le Raïs Mustapha ayant relâché à Marseille, la Chambre lui fit fournir une vergue de grand hunier. Le consul à Alger fut satisfait du geste et écrivit à la Chambre : « Il convient Messieurs, que dans le cas de relâche des corsaires sur nos côtes, vous continuez d’avoir pour eux, la même attention et que vous donniez les meilleurs ordres pour qu’ils n’aient pas à se plaindre de qui que ce soit. Vous ne saurez croire l’effet que produit sur le pays le rapport des Raïs, soit qu’ils aient à se louer ou à se plaindre. C’est même de là que vient, en partie, la grande réputation que les Anglais se sont faits ici, en accueillant à Gibraltar et à Mahon, les corsaires d’Alger comme si c’étaient de véritables anglais[7]. »

 

Le maire et les officiers municipaux de la Ciotat signalaient en juillet 1791, l’arrivée d’une demi-galère algérienne, armement du Dey, commandée par Raïs Méhemet, armée de quatre pièces de canon, vingt-huit avirons, avec quatre-vingt-dix hommes d’équipage, partie d’Alger, le 22 juin. Le Raïs avait déclaré n’avoir fait aucune prise. Ayant demandé de l’eau et quelques petits rafraîchissements, il fut bien servi mais « avec les précautions d’usage, » dit le rapport[8].

 

2 - Une mission réussie

 

Jamais, présence d’un Raïs algérien n’avait eu tant d’échos à Marseille, comme celle de Raïs Bakîr, en 1711.

 

Tout d’abord qui est cet officier ? Les documents d’archives en parlent brièvement commandant d’un vaisseau d’Alger... « Un fort honnête homme, bien porté pour notre nation et en faveur dans le gouvernement présent » au dire du consul Clairambault[9].

 

Il fut envoyé par le Dey ‘Ali Chaouch qui se trouvait dans la nécessité pressante d’avoir des mâts. Un vaisseau l’emmena à Marseille avec une lettre pour le Roi priant celui-ci de lui accorder le matériel naval en payant, avec une cargaison dont il avait ordre d’employer le produit à l’achat des mâts.

 

Sitôt parti, le consul appuie, par une lettre à Pontchartrain et à Amoul, les démarches du Dey. « Je crois, dit-il, qu’il est d’une extrême conséquence de ne pas refuser le Dey en cette occasion, ce serait lui faire voir qu’il ne peut espérer aucun secours de la France ; donnerait moyen aux Anglais de lui représenter à tout moment qu’il ne peut espérer que d’eux, ce qu’il aura besoin et avancerait leurs affaires à notre préjudice, outre que dorénavant, nos vaisseaux ne pourraient trouver à se raccommoder dans une nécessité pressante, comme il arriva à M. de L’Aiguë qui s’accommoda du plus beau mât qui fut à Alger pour faire une vergue, sans quoi, il était obligé d’aller à Toulon ... Le Dey ici, ayant toujours bien agi, mérite d’être traité favorablement[10]. »

 

Sur place, Raïs Bakîr se mit à la recherche d’une mâture entière d’un vaisseau de soixante canons. Deux tendances s’étaient vite manifestées. Celle de Pontchartrain qui fut négative dans un premier temps. Le Ministre reprochait aux dirigeants de la Régence de n’avoir « pas voulu entrer dans aucun accommodement lorsqu’il s’est agi de faciliter de leur part, la traite des blés à nos bâtiments pendant la disette de 1709[11]. »

 

L’autre tendance était pour la vente du matériel demandé « en contrepartie des secours que les bâtiments de Provence ont pu recevoir depuis plusieurs années dans les relâches en Barbarie. » Finalement, Pontchartrain se rallia à la thèse de la Chambre de Commerce, précisant dans sa lettre :

« J’ai rendu compte au Roi des motifs qui vous engagent à représenter que l’on doit faciliter au Raïs algérien, arrivé depuis peu à Marseille, les moyens d’exécuter la commission dont il est chargé par le Dey. L’intention du Roi est que l’on s’en tienne aux conditions de la grâce que le dernier demande et que le consul explique formellement (...) les secours qu’il donne aux bâtiments de la nation qui viennent dans ses ports (...). Le sieur Clairambault ajoute que c’est en payant (...). Ainsi, vous devez convenir que le Roi a prévenu votre demande en permettant que le Turc achète ceux qui lui conviendront chez les marchands. C’est à vous de concerter avec le sieur Magy, son commissionnaire, les moyens de le renvoyer satisfait, le plus promptement qu’il se pourra et à faire entendre à ce Turc, quand l’occasion s’en présentera, que Sa Majesté ne s’est déterminée à lui accorder cette permission que sur les relations du consul de la nation qui se loue des procédés du Dey et des autres puissances d’Alger à son égard[12]. »

 

Les tractations semblent avoir duré : on avertit le sieur Magy qu’il n’est « pas question de céder, gratuitement, des mâts provenant de l’arsenal de Toulon, » mais que le sieur Magy « devra concourir du mieux possible à la réussite de la mission du Raïs. » Aux députés du Commerce, on accorda « l’autorisation d’acheter des fournitures pour navires. » Aux intéressés de la Compagnie d’Afrique, on dit qu’il convient de « concourir à la réussite de la mission du Raïs algérien venu acheter du matériel naval. » Aux députés de la Chambre du Commerce, il fut recommandé de procurer des rames et des mâts que le Raïs désirait acheter ; il leur fut rappelé les facilités accordées par Pontchartrain au Raïs algérien, en mission à Marseille[13].

 

Les résultats ? Ils furent largement satisfaisants. Une deuxième lettre de Pontchartrain, datée du 25 mars, annonçait de bonnes nouvelles: « Je vous envoie par ordre du Roi pour vous recommander de mettre, le plus promptement qu’il se pourra, le capitaine algérien qui est présentement à Marseille en état de s’en retourner en son pays avec la petite emplette dont il doit être content s’il est vrai ... que vous lui avez fait avoir, au prix de l’adjudication du Roi, un lot de dix-neuf bons mâts. »

 

« J’adresse, la semaine prochaine, à MM. les ordonnateurs la réponse de Sa Majesté à la lettre du Dey avec les présents pour lui et pour les Raïs. Ils ont ordre de faire détacher de la chaîne, vingt des plus vieux esclaves turcs des Etats du Grand Seigneur (...). Le consul est chargé de faire valoir toutes ces distinctions accordées par Sa Majesté en vue de protéger le commerce et de s’en servir s’il le juge à propos pour une occasion dans laquelle il aurait besoin des suffrages du Diwân[14]. »

 

Trois jours après, le Ministre revint à la charge au sujet des mâts, l’arsenal de Toulon n’en disposait pas : « Vous êtes instruits, dit-il à ses correspondants, que l’arsenal de Toulon n’est pas pourvu de ces munitions à proportion du nombre de corsaires que l’on est obligé d’entretenir. Cependant, si, pour le renvoyer content, il faut absolument en tirer une demi-douzaine de mâts de certaines proportions nécessaires à son assortissement, MM. Le Vasseur et Chavonnier de l’en aider à condition que M. Magy en paiera la valeur au fournisseur[15]. »

 

La mission fut bien accomplie. Le Raïs pu acheter les 19 mâts et reçut les présents de Louis XIV offerts au Dey, ainsi que les esclaves algériens qui furent détachés de leurs chaînes. On prépara le vaisseau « Le Fleuron » dans le cas où la flutte « Le Portefaix » ne fut pas de retour pour le transport des munitions[16].

 

Dans ses instructions à la Compagnie d’Afrique, Pontchartrain recommandait : « Le Raïs doit partir de France comblé des égards que l’on a eus pour lui et pour les demandes des puissances qui l’avaient envoyé et je suis bien aise, de vous dire, que les intérêts de la compagnie ont eu la plus grande part dans le traitement favorable que je lui ai procuré[17]

 

Ainsi, tout fut possible dans l’intérêt du commerce et de la paix !

 

3 - Le secours aux naufragés

 

Il arrivait aux navires algériens de s’échouer sur les côtes de Provence. Conformément aux clauses des traités conclus ou simplement dans le cadre de la réciprocité, les autorités françaises s’empressaient de secourir les matelots algériens.

 

En 1674, un bâtiment algérien vint s’échouer sur une côte de Provence. Colbert écrit alors à Rouillé intendant de Provence :

« Monsieur (...) ne sachant pas si vous pouvez vous en aller avec diligence à Marseille, j’envoie ordre au sieur Amoul qui est à Toulon de s’y en aller promptement, pour obliger les Echevins de Marseille d’envoyer, en diligence à Callioure, pour y prendre des Turcs d’Alger qui ont échoué à Port Vendres ... Il y a de ça quelque temps, pour les envoyer à Alger, en leur rendant tout ce qu’ils peuvent avoir perdu afin de connier (?) Par ce bon traitement le gouvernement de cette ville à entretenir les traités qui ont fait (sic) avec lui. Et comme cette affaire est de grande conséquence pour le commerce de Marseille, si vous pourriez y aller pour y donner promptement les ordres, je crois qu’il serait bien à propos et avantageux, pour cette ville[18]. »

 

En juin 1686, le navire « Le Croissant d’Or » eut un accident près des côtes de Bretagne. L’intendant Morani demanda avis à la Chambre de Commerce : retenir le bâtiment ou le relâcher ?

 

Celle-ci estima que « dans l’intérêt des bonnes relations avec la Régence d’Alger, le vaisseau en question pourrait être laissé libre de continuer sa route. Les Algériens auraient encore plus de sujets d’entretenir une bonne correspondance avec les sujets de Sa Majesté[19]. »

 

Malgré cela, le Dey eut, plus d’une fois, à sa plaindre du comportement des armateurs et des capitaines français, vis à vis des Raïs, soit en mer soit dans les ports de France. Les doléances semblent avoir été justifiées puisque le Ministre de la Marine fit connaître au consul Lemaire une importante décision : « Je fais de nouveau savoir, écrit- il, aux officiers des vaisseaux du Roi et aux armateurs que s’ils font les moindres troubles aux Algériens dans la course ou même s’ils ne les secourent pas lorsqu’ils se trouveront dans un besoin pressant de vivres ou dans quelque péril de naufrage, ils en seront très sérieusement punis[20].

 

En effet, le mauvais temps poussait très souvent les bateaux algériens à se réfugier dans certains ports provençaux, quand il n’y avait pas de guerre entre la France et la Régence Les navires français en faisaient autant dans les ports et les côtes de la Régence.

 

Le Ministre Choiseul avait bien tenté de mettre fin ou du moins, de limiter l’assistance accordée aux Algériens, à Marseille, mais il dut s’y résigner : « Les ménagements qu’on a pour ces sortes de corsaires sont nécessaires et on a bien fait pour les contenter de leur donner gratuitement, des rafraîchissements (...). La Chambre a laissé s’établir des usages dont les Barbaresques abusent, comme on devait s’y attendre, je ne puis vous marquer sur cela que le regret de trop grandes facilités qu’on y a eues. On ne peut guère y remédier, aujourd’hui, qu’avec le temps en diminuant, successivement, ces donatives (...). C’est à quoi vous devez apporter attention avec prudence et il me paraît qu’on ne peut prendre d’autre moyen sans compromettre la navigation, si on refusait, trop ouvertement aux Barbaresques des secours qu’il sont accoutumés de recevoir[21]. »

 

Aussi, lorsqu’un navire d’Alger fit naufrage sur la côte de Roussillon, près de Saint Laurent, en 1765, les deux-cents hommes d’équipage, après avoir été gardés à vue par un fort détachement, furent rapatriés « de manière, dit une note de la Chambre, que cette soldatesque insolente ne nous compromette pas avec le Dey au lieu de lui apporter, fidèlement, ce qu’elle doit aux secours de tout genre qu’elle a trouvé en France[22]. » . Il en fut de même en 1777, lorsqu’un bâtiment fut si endommagé qu’il n’était plus possible de le remettre en mer. L’équipage, en bonne santé, fut renvoyé à Alger. Quelques années plus tard, un combat opposa marins algériens et napolitains dans la rade de Marseille. Les blessés algériens furent soignés par M. Grugnon, chirurgien de Toulon et les frais d’hôpital furent réglés par la Chambre de Commerce de Marseille[23]. »

 

Dans l’intérêt de la paix avec la Régence et du négoce, la Chambre de Commerce consentait des efforts financiers pour recueillir, héberger et embarquer des marins que le sort jetait sur les rivages de la Rochelle ou de Minorque[24].

 

Un naufrage survint sur l’île de Pomègue. Le Raïs ‘Abd al Rahmân ben Chalabî et quelques membres de son équipage demandèrent à rester sur les lieux pour surveiller, par eux-mêmes, l’opération de sauvetage du bâtiment. Rouille demanda à la Chambre « de continuer à faire les mêmes secours au Raïs « ajoutant : Votre conduite est conforme aux intentions du Roi. Mais comme il importe de faire connaître au Dey d’Alger de quelle manière, les sujets de la Régence ont été traités en France, vous aurez soin de m’envoyer un état de toute la dépense que vous aurez faite pour eux[25]. » Rouille recommandait, également, de prendre les mesures nécessaires pour que les Algériens puissent retourner promptement à Alger et « avoir lieu d’y répandre les bons traitements et les secours qu’ils ont reçus en France[26]. »

 

Une agression fut perpétrée dans le port de Marseille, en 1781, par des Napolitains et dont furent victimes un matelot danois et trois algériens qui furent grièvement blessés. On les conduisit à l’hôpital de la ville. Ayant appris la nouvelle, le Ministre de Castries donna des ordres à MM. du Commerce : « Je vous charge, dit-il, de veiller à ce qu’ils reçoivent les secours nécessaires pour leur guérison et de voir, lorsqu’ils seront rétablis, quels arrangements il conviendra de prendre pour satisfaire les sujets de la Régence[27]. »

 

La réciprocité était de règle. Les bâtiments français s’exposaient de temps à autn au danger. L’assistance des Algériens était appréciée. Nous l’avons rappelé dans it précédent chapitre du tome I à propos de la magnanimité des Raïs[28].

 

Une barque française, chargée de diverses marchandises et se rendant à Salé, s’échoua sur les côtes algériennes. C’était sous le règne de Dey Cha’bâne. L’intervention pour la sauver est décrite par le Dey lui-même dans une lettre à Louis XIV.

 

« Nous n’en fûmes pas plus tôt informé, lui dit-il, que nous ordonnâmes des gens experts avec des janissaires de notre milice et des chaloupes qui firent pêcher et retirer du fond de la mer, pendant 4 ou 5 jours et par le moyen des plongeurs, tous les effets qui étaient abîmés, sans permettre qu’aucune de leurs marchandises ait été perdue ni pillée.

 

Et non seulement nous leur avons remis le tout entre les mains, entièrement et parfaitement, mais encore en votre considération, nous leur avons fait présent d’une grande barque neuve appartenant à notre République, laquelle nous avons équipée bien avantageusement que celle qu’ils avaient auparavant et ensuite, nous leur donnâmes des munitions et des vivres. Et de peur qu’ils ne fussent insultés par les Anglais qui courraient toute la mer, nous leur donnâmes 12 matelots Turcs et un pavillon d’Alger avec des passeports authentiques en langue turque avec des lettres adressées aux Anglais, le tout afin qu’ils puissent arriver à bon port à Toulon[29]. »

 

4 - Des susceptibilités à ménager

 

On tenait beaucoup compte, en Europe et en France, en particulier, des réactions du Dey et des échos d’événements survenus dans les ports de la chrétienté ou en mer et concernant des intérêts algériens.

 

Aussi, on s’arrangeait pour prévenir « les accidents, » ou pour les minimiser, quand on ne pouvait pas faire autrement. Le 14 avril 1703, le consul Durand mettait en garde la Chambre de Commerce : « Messieurs, leur dit-il, les quatre grosses galiotes du Dey, une moyenne et deux escampavies, viennent d’être mises en mer, elles croiseront, apparemment, cet été. Obligez-moi, Messieurs, pour le bien commun, de donner attention à ce que sous prétexte de les prendre pour Salétins, ils ne soient point insultés des bâtiments de France. »

 

Et quand les Hollandais, en guerre avec Alger, voulaient imposer aux vaisseaux français naviguant entre la Hollande et les ports français de la Méditerranée, la protection de leur escorte, le Roi Louis XV refusa « ne voulant pas donner pour un prétexte aux Algériens de prendre des vaisseaux français comme ennemis[30]. » Quelques années plus tard, fut signé le pacte de famille de Fontainebleau (1743). On engagea les Espagnols, à ne point donner au gouvernement du Dey de légitimes sujets de se plaindre, de crainte que l’union des deux couronnes ne fit jaillir leur ressentiment sur les Français[31]. »  

 

Dans les contestations de prises entre commerçants algériens et corsaires français, on jugeait avec grande équité. Citons l’exemple du navire anglais nolisé en 1705 par des Algériens. Le capitaine P. Marin, de la Ciotat, s’en était emparé. Le navire était chargé de marchandises d’une valeur considérable.

 

Le consul Durand fit parvenir à Marseille, l’état desdites marchandises en priant la Chambre d’en obtenir la restitution, car l’émotion était très vive à Alger « et qu’on ne sait jusqu’où peut aller cette affaire et qu’il est important de se hâter[32]. »

 

Alors, que le corsaire réclamait la plus grande partie du chargement, on l’obligea « pour raison d’Etat et de commerce de restituer aux Algériens ces marchandises comme à eux appartenant. » Le Ministre Pontchartrain, s’adressant aux Echevins de Marseille, leur apprenait qu’il a mandé à M.Durand « d’engager quelques-uns des Algériens qui sont les plus intéressés dans le chargement du bâtiment anglais pris par le capitaine Marin, à venir à Toulon, pour percevoir, eux-mêmes, leurs effets et ceux de leurs compatriotes et disposer, ensuite, leur retour à Alger, ainsi qu’il le conviendra afin qu’on ne puisse rien imputer à la nation de ces incidents qui pourront leur arriver[33]. »

 

Un incident, presqu’identique, survint en 1791.

 

Un juif, sujet algérien, le sieur Falsiel, ayant affrété un bateau français pour se rendre à Livourne, se fit dépouiller par la force, de ses biens. L’auteur du rapt n’était autre que le capitaine Percie, commandant du navire « La Fortune » affrété par la victime.

 

Plainte et réclamations furent adressées au Ministre de la Marine, à Paris. Celui- ci suivit de près l’affaire. Il le dit dans une lettre à MM. du Commerce :

« J’ai reçu le mémoire du Juif Algérien, Jacob Falsiel. Si ces réclamations sont justes, je crois qu’on doit y avoir égard et je vous sais gré d’avoir cherché à la vérifier, en priant le consul de France à Livourne d’interroger le capitaine Percie... Je vais, de mon côté, expédier, dans les échelles du Levant où il est possible que ce navigateur se rende, en sortant de Livourne, les ordres nécessaires pour s’assurer des faits et l’obliger à réparer les torts qu’il a causés à l’Algérien... Vous pouvez prévenir Falsiel de ces mesures et lui déclarer que cette affaire ne sera point perdue de vue... Cependant, s’il insiste, et ne sent point attendre l’événement de cette perquisition, je pense, comme M. Vallière, qu’il faut transiger avec lui, à Marseille, et je vous y autorise afin d’éviter que la Régence ne donne, à cette affaire, des suites qui nous soient plus fâcheuses à Alger[34]. »




[1] (1) A.C.C.M. Série B4, p.343 (9 janvier 1676).

[2] A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 8 octobre 1684.

[3] A.C.C.M. Série B5 f° 718 (17 mai 1697).

[4] A.C.C.M. Série B f° 500 (7 février 1692).

[5] A.C.C.M. Série G/34 (mars 1700).

[6] A.C.C.M. série G/34 (1763).

[7] A.C.C.M. Série J 1369, Lettre de Vallière, 24 mai 1764.

[8] A.C.C.M. Série G/34, La Ciotat, 22 juillet 1791.

[9] A.C.C.M. Série B f° 453 v° 297 (1711)

[10] A.C.C.M. Série B80, Lettre d'Alger du 6 janvier 1711.

Faisons remarquer que Raïs Bakîr emmenait avec lui deux chevaux pour le Roi.

[11] A.C.C.M. Série B/80, Lettre du 4 mars 1711. Une disette frappa le midi de la France de 1701 à 1710 : La compagnie Hély expédia à Marseille et au Havre jusqu'à 200.000 hectolitres de blé par an. Le prix était de 5f.50 l’hect. Mais le consul d'Angleterre traitait des blés bien avantageusement que l’argent français. Il en acheta le monopole en livrant 1.400 barils de poudre.

[12] A.C.C.M. Série B/80.

[13] A.N. Marine B7: 89, Levant et Barbarie (1711-1712) f° 48, 45, 49, 52, 89. 

[14] A.C.C.M. Série B/80, Lettre adressée aux Echevins et Députés du Commerce. La lettre parle, également, de la fameuse affaire de la prise « La Femme Volante. » La part des Algériens, les trois cinquièmes du produit sera remise au consul pour être partagée entre les ayant-droits.

[15] A.C.C.M. Série B/80, Lettre du 28 mars.

[16] A.N. Marine B7/89 f° 57 (1er avril 1711) et f° 54.

[17] A N. Marine B7/89, Lettre à la Compagnie, Versailles, 8 avril C 62 A propos de relâche en France, il arrivait aux Algériens de se présenter devant Toulon. « On y avait coutume de leur faire déposer le gouvernail à la quarantaine, de peur, dit O.Tessier, qu’ils ne sortissent inopinément pour aller s’emparer des bâtiments italiens qu’ils voyaient sortir du port » (Une visite, p.120). L’explication est à chercher plutôt du côté des captifs musulmans affectés aux galères. Ne craignait-on pas de voir ces derniers se réfugier dans les navires algériens ?

[18] A.C.C.M. Série J 1875, Lettre du 10 avril 1674.

[19] A.C.C.M. Série J B5 f 224, Lettre du 17 juin 1686.

L’intendant Morant voulut retenir les Algériens « jusqu’à ce qu’ils aient réparé les contraventions au dernier traité de paix" allusion à la prise du bâtiment français, la "Marie Françoise" par Raïs Bostandji, commandant le vaisseau "L’Oranger". »

[20] (20) A.C.C.M. Série G/34 (1763) 

[21] A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 19 avril 1762.

[22] A.C.C.M. Série G/34, (1765).

[23] A.C.C.M. Série B/88 (octobre 1790).

[24] (24) A.C.C.M. Série B/4 p.645 (4 septembre 1679). Une allocation de quatre sous par homme et par jour leur fut accordée ainsi que douze réaux à chacun pour leur passage à Alger. Egalement série G.34(1700). 

[25] A.C.C.M. Série G/34, Lettre du 22 février 1751.

[26] Quant au chébec brisé, on en retira les agrès qui furent vendus aux enchères publiques à Marseille pour 2930 piastres, le courtier ayant pris 29,6 il restait au Raïs 2 901,40.

[27] A.C.C.M. Série G/34 (1781).

[28] Voir chapitre V, pp. 110-113.

[29] Lettre du 25 juin 1695 (Plantet, Correspondance, I. pp. 468-469).

[30] A.N. Aff. Etr. B III - 305 (1718).

[31] Ibid.

[32] Grammont, Correspondance des consuls. p. 103.

[33] A.C.C.M. Série B/78, Lettre du 29 juin 1705.

[34] A.C.C.M. Série B/88. Lettre du 10 avril 1791